La Grèce a besoin d’une large annulation de sa dette

Résumé d’une étude réalisée par Costas Lapavitsas (SOAS/RMF) et Daniel Munevar (CADTM/RMF) [1]

Cette étude, publiée en mai 2014, part du constat selon lequel la dette publique continue de poser un problème majeur à la Grèce. Malgré les politiques d’austérité draconiennes imposées à ce pays, et qui l’ont plongé dans la dépression économique depuis 2010, la dette publique n’a pas été réduite. Début 2014, elle s’élevait à 320 milliards d’euros (174 % du PIB) contre 300 milliards (130 % du PIB) en 2009.

Le problème que pose cette situation ne réside pas seulement dans le poids du service annuel de la dette et le prélèvement qu’il constitue sur une économie affaiblie, mais aussi dans les contraintes qu’elle impose à la politique économique. Les conditions exigées par les créanciers dans le cadre des aides accordées au pays contraignent ce dernier à pratiquer une politique budgétaire extrêmement restrictive, basée sur une hausse des impôts et une réduction des dépenses et des investissements publics. Alors que la Grèce est en pleine dépression, elle se trouve ainsi dans l’incapacité d’adopter des politiques dont le besoin est pourtant urgent pour stimuler la demande, réduire le chômage et soutenir la croissance.

La Grèce a besoin d’un allègement de la dette pour créer des marges de manœuvre budgétaires qui permettent au gouvernement d’adopter des mesures facilitant rapidement la reprise et la croissance. C’est impératif dans un pays dont le PIB s’est contracté de 25 % depuis 2008 et où le taux de chômage atteint 27 %. La question n’est donc pas de savoir s’il faut un allègement de la dette mais comment le réaliser. Deux options sont possibles.

La première, l’option « douce », consiste à allonger la maturité de la dette et à diminuer le taux d’intérêt moyen, et à réduire en conséquence le montant des intérêts payés chaque année. C’est la solution préférée par l’Union européenne et par l’actuel gouvernement grec car elle laisse inchangé le montant nominal de la dette et évite ainsi tout conflit avec les créanciers publics dont les intérêts sont préservés.

La seconde, l’option « dure », consiste en une annulation de la valeur nominale de la dette, ce qui réduit aussi la dépense annuelle d’intérêts. Cette solution est préconisée par plusieurs organisations d’opposition en Grèce et semble trouver quelque écho au sein du FMI, même s’il n’y a pas d’accord sur l’étendue de l’annulation. Mais elle suscite une forte opposition des créanciers publics et nécessiterait de difficiles négociations, voire une action unilatérale (défaut) de la Grèce.

L’objet de l’étude est de comparer ces deux options du point de vue des marges de manœuvre budgétaires qu’elles ouvrent à la Grèce pour sortir de l’austérité et soutenir son économie. Ces marges de manœuvre sont mesurées par les économies réalisées sur les paiements annuels d’intérêts, lesquelles permettent d’assouplir les objectifs fixés en termes de surplus budgétaire primaire [2] tout en stabilisant le ratio dette/PIB. Elles indiquent l’espace disponible pour une politique alternative qui privilégie la croissance et l’emploi, dont le pays a besoin, plutôt que le remboursement de la dette comme le fait la politique actuelle.

Pour mener cette analyse, les auteurs utilisent un modèle développé par le FMI et s’appuient sur des hypothèses macroéconomiques tirées des plus récentes projections de cet organisme. Ils comparent, sur la période 2014-2019, une option « douce » de réduction du taux d’intérêt de 0,5 % ou de 1 % à une option « dure » d’annulation de la dette abaissant celle-ci à 60 % du PIB, c’est-à-dire au niveau du plafond imposé par les critères de Maastricht.

Les principales conclusions sont les suivantes :

1 – L’option « douce » aurait un impact négligeable sur le ratio dette/PIB, l’améliorant seulement d’à peine 5 % en 2019. Cela s’explique par le fait que la dette grecque a déjà été significativement restructurée en 2012 : la maturité moyenne est passée de 8 ans en 2009 à 16 ans en 2013, le taux d’intérêt moyen a été abaissé autour de 3 % et un moratoire de remboursement de 10 ans a été accordé ; parallèlement la composition de la dette a été fortement modifiée et elle est aujourd’hui essentiellement détenue par des créanciers publics.

2 – La marge de manœuvre dégagée par l’option « douce » d’une baisse du taux d’intérêt de 0,5 % atteindrait juste 0,8 du PIB par an entre 2014 et 2019 ; si la baisse du taux d’intérêt était de 1%, le gain serait de 1,6 % du PIB par an. Ces résultats sont insignifiant au vu de l’état actuel de l’économie.

3 – L’option « dure » aurait un impact décisif sur le ratio dette/PIB puisqu’elle réduirait directement la valeur nominale de la dette.

4 – L’option « dure » dégagerait une marge de manœuvre budgétaire substantielle qui représenterait en moyenne 4,8 % du PIB sur la période 2014-2019. Cela correspond pratiquement à 10 milliards d’euros par an qui seraient disponibles pour l’investissement public, les augmentations de salaires et de pensions et les dépenses sociales. Ce gain serait entre six et trois fois et demie supérieur à celui de l’option « douce », suivant la baisse du taux d’intérêt retenue. Sur l’ensemble de la période, c’est une somme énorme pour l’économie en dépression de la Grèce.

5 – L’option « dure » permettrait d’atteindre la stabilité budgétaire plus facilement que l’option « douce », tout en ouvrant davantage d’espace pour une expansion budgétaire. Avec l’option « dure », les déficits publics pourraient raisonnablement être maintenus au-dessous de 3 % du PIB, contribuant ainsi à stabiliser le ratio dette/PIB.

Au total, l’option « dure » domine complètement la « douce », et cette dernière n’offre en vérité que peu d’avantages. Si la Grèce veut sortir de sa difficile situation actuelle, elle a besoin d’une large annulation de sa dette. Inutile de dire qu’une telle décision aurait des implications politiques, sociales et économiques majeures pour la Grèce. Il y a un besoin urgent de débattre de qui supporterait les pertes, et il sera difficile de faire accepter une telle politique par les créanciers.

Adopter l’option « dure » exigera sans aucun doute des négociations difficiles, et pourrait même impliquer une action unilatérale de la Grèce sous forme d’un défaut de paiement, dans la mesure où les créanciers devront supporter des pertes significatives. Cette option comporte donc des risques et peut générer des tensions mais c’est la seule voie crédible, étant donné l’état actuel de l’économie et de la société grecques. L’alternative serait la continuation des politiques d’austérité pendant encore plusieurs décades : en poursuivant la politique actuelle, la dette ne repasserait sous le seuil de 60 % du PIB que dans 26 ans. C’est clairement intenable pour un régime démocratique.

Le prochain gouvernement grec aura de redoutables décisions à prendre pour lesquelles il aura besoin du plus grand soutien et de la plus grande implication possible de la population. Il est impératif que le peuple grec dispose d’une totale information et puisse faire ses choix en toute clarté.

Marge de manœuvre budgétaire additionnelle associée aux options « douce » et « dure »
Dépenses de l’État hors intérêts en % du PIB

Téléchargez l’intégralité de l’étude (en anglais)

Notes

[1SOAS : École des études orientales et africaine – Université de Londres. CADTM : Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde. RMF : Research on Money and Finance

[2Le solde budgétaire primaire est le solde calculé hors service de la dette. Les conditions imposées à la Grèce lui fixent pour objectifs de réaliser un surplus primaire de 1,5 % du PIB en 2014 et de 4,5 % en 2016.

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