Super Mario est-il encore en capacité agir ?

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, avait prévenu : « nous pouvons agir sans limite ». Et de fait, le 10 mars, la BCE a annoncé un nouvel assouplissement de sa politique monétaire et un élargissement de ce que les banquiers centraux appellent dans leur jargon les « mesures non conventionnelles ».

Les banques peuvent désormais se refinancer auprès de la BCE, c’est-à-dire emprunter l’argent que celle-ci met à leur disposition, à taux nul alors que ce taux était de 0,05 % depuis septembre 2014 [1]. Parallèlement, les dépôts qu’elles conservent auprès des banques centrales nationales sont un peu plus taxés, subissant un taux d’intérêt négatif porté de - 0,3 % à - 0,4 %.

La BCE a également décidé de lancer quatre nouvelles « opérations de refinancement à plus long terme ciblées ». Concrètement, il s’agit d’octroyer aux banques des prêts sur quatre ans, à taux nul, dont le montant sera fonction des crédits accordés aux entreprises. Le taux de ces prêts pourra même être négatif si ces crédits augmentent entre 2016 et 2018. Enfin, le programme de rachat de titres sur le marché secondaire [2] portera dorénavant sur 80 milliards d’euros par mois (contre 60 milliards jusqu’à présent) et sera élargi aux obligations émises par des entreprises de la zone euro.

L’objectif officiel de la BCE est de faire remonter l’inflation au voisinage de 2 % (en février 2016, le taux d’inflation dans la zone euro était encore négatif, s’établissant à - 0,2 % par rapport à février 2015) et de lutter contre la déflation et la stagnation économique qui menacent toujours l’Europe. En créant et en injectant dans le circuit économique de telles quantités de monnaie, la BCE espère à la fois continuer à faire baisser les taux d’intérêt, et stimuler ainsi le crédit et l’investissement, et maintenir la pression sur l’euro afin de favoriser les exportations et relancer par ce biais l’activité économique.

Ces mesures seront-elles efficaces ? On peut en douter. Elles ne font que prolonger, en l’accentuant, la politique monétaire suivie depuis quelques années alors même que celle-ci n’a toujours pas rencontré le succès escompté. La BCE semble ainsi engagée dans une fuite en avant qui donne la mesure de son impuissance malgré les libertés qu’elle prend à l’égard de ses textes fondateurs et de l’orthodoxie monétariste. Elle est en fait confrontée à un obstacle de taille : les politiques d’austérité menées partout en Europe, qui dépriment la consommation des ménages et réduisent les dépenses publiques, et qu’elle continue pourtant de défendre.

Malgré les effets positifs de la chute du prix du pétrole et de la baisse de l’euro, la faiblesse de la demande interne qui découle de ces politiques, conjuguée aux difficultés des pays émergents, bloque tout redémarrage sérieux de l’investissement et toute reprise durable de l’activité. En outre, la Banque des règlements internationaux relève que les politiques monétaires non conventionnelles ont pour effet de creuser les inégalités [3], ce qui constitue également un handicap pour la croissance. Les sommes considérables que la BCE injecte dans le circuit économique tombent dès lors dans ce que les économistes appellent une « trappe à liquidité ». Loin de contribuer à relancer la machine, elles sont utilisées par les banques pour alimenter la spéculation sur les marchés financiers, au risque de nourrir une nouvelle bulle financière dont l’éclatement, inéluctable, sera dévastateur.

Cela signifie-t-il que la politique monétaire est définitivement hors course ? Peut-être pas… D’autres mesures sont possibles. Mais outre qu’elles supposent que la BCE s’affranchisse encore un peu plus de la doctrine orthodoxe, elles remettent au centre du débat la question du rôle de la BCE, de sa légitimité et de son contrôle social.

Depuis plusieurs mois une idée refait surface et trouve de plus en plus de soutiens, y compris parmi les économistes et responsables financiers les moins suspects de légèreté : la BCE devrait utiliser la monnaie qu’elle crée pour financer directement l’économie sans passer par les banques. C’est la stratégie dite de la « monnaie hélicoptère » en référence à l’image utilisée par Milton Friedman d’une banque centrale larguant des billets de banque sur les populations [4].

Une campagne en ce sens a été lancée par plusieurs organisations de la société civile sous le slogan « Quantitative easing for people » (« assouplissement quantitatif pour le peuple » [5] . Lors de sa conférence de presse du 10 mars, Mario Draghi a estimé qu’il s’agissait d’une idée intéressante, précisant néanmoins que le Conseil des gouverneurs n’avait pas encore étudié ce concept. Cela semble désormais chose faite puisqu’une semaine plus tard, l’économiste en chef de la BCE indiquait que la « monnaie hélicoptère » entrait bien dans la boite-à-outils de la BCE.

Comment une telle proposition pourrait-elle être mise en œuvre ? Le plus simple, au moins en apparence, serait que la BCE crédite le compte bancaire de chaque habitant de la zone euro d’une somme qu’elle déciderait. Cette solution comporte toutefois le risque que le pouvoir d’achat ainsi distribué soit en partie épargné ou dépensé en importations, ce qui limiterait son impact sur l’activité économique en Europe. L’efficacité commanderait en outre que les sommes distribuées soient modulées pour tenir compte de la situation des différents pays, voire du niveau de revenu des ménages concernés.

Or, pour souhaitable qu’elle soit, une telle redistribution des revenus au sein de la zone euro ne relève pas des prérogatives de la BCE. Cela reviendrait en effet à faire jouer à une institution non élue un rôle que les gouvernements ne veulent pas jouer, qu’il s’agisse de mettre en place un plan de relance budgétaire au niveau européen ou d’organiser des transferts financiers entre pays membres. Cela constituerait une nouvelle atteinte à la démocratie et un pas supplémentaire, toujours au nom de l’efficacité économique, vers un fédéralisme technocratique dans lequel les experts priment sur les citoyens et leurs représentants.

Une autre solution consisterait, pour la BCE, à financer directement des investissements répondant à des besoins d’intérêt général. On pense notamment à des projets relatifs à la transition énergétique.

Elle pourrait s’appuyer pour ce faire sur des institutions financières publiques (Banque publique d’investissement et Caisse des dépôts en France) dont c’est précisément la mission et qui apporteraient un certaine garantie quant au choix des projets. La mise en place d’un pôle financier public, et son extension au niveau européen autour de la Banque européenne d’investissement [6], serait particulièrement cohérente avec cette proposition, à la fois en termes d’efficacité et de contrôle démocratique.

Quoiqu’il en soit, contourner l’impuissance apparente de la BCE, implique une profonde transformation de son statut afin d’en faire un outil au service et sous le contrôle des citoyens et non plus l’instrument exclusif des marchés financiers. Cela suppose également de mettre fin aux politiques d’austérité qui, en stérilisant les politiques budgétaires, font peser une charge trop lourde sur la seule politique monétaire.

Enfin, on ne peut se satisfaire du rôle joué par les banques. Remettre le système bancaire au service du financement de l’économie constitue aussi un moyen de redonner son efficacité à la politique monétaire. Cela exige notamment de séparer les activités de marchés des activités de dépôts et crédits, de réduire la taille des banques, et corrélativement leur poids politique, et de les mettre sous un réel contrôle social.

Notes

[1Le taux d’intérêt de la « facilité de prêt marginal », qui permet aux banques d’obtenir si besoin et à leur demande des liquidités supplémentaires pour une durée inférieure à 24h, est également réduit de 0,30 % à 0,25 %.

[2« Quantitative easing » (assouplissement quantitatif). Initialement prévu de mars 2015 à septembre 2016, la durée de ce programme avait déjà été étendue jusqu’en mars 2017. Depuis sa mise en place, l’essentiel des achats ont concerné des titres publics.

[3En favorisant la hausse des rendements des actifs les plus spéculatifs, davantage présents dans le patrimoine des ménages les plus riches, ainsi que celle du prix de l’immobilier.

[4Père du monétarisme et fondateur de l’École de Chicago, Milton Friedman avait utilisé cette image pour tenter de démontrer que la création de monnaie par les banques centrales n’avait d’effet que sur le niveau des prix et n’affectait pas l’économie réelle.

[5Voir le site www.qe4peuple.eu

[6La BEI est la banque de l’Union européenne. Son capital appartient aux États membres et elle est chargée de mettre en œuvre la politique de l’UE

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