La Finance est-elle toujours l’ennemie de F. Hollande ?

La taxe Tobin a sérieusement du plomb dans l’aile ! C’est aujourd’hui que les ministres européens des Finances se réunissent à Bruxelles pour discuter du projet de taxe sur les transactions financières. Celle-ci devrait être applicable pour le 1er janvier 2016.

Toutefois, à en croire les propos de Michel Sapin dans le journal Les Echos de ce lundi, la France ira à Bruxelles avec l’intention de limiter au maximum l’étendue de cette taxe et de la vider de son principe initial.

Le ministre des Finances indiquait dans les colonnes du journal économique qu’il fallait « bâtir un dispositif efficace qui ne fasse pas fuir l’activité financière. La France avancera des propositions équilibrées... »

La France tente en fait d’imposer une assiette la plus étroite possible, et cela notamment en excluant du périmètre de la taxe les produits dérivés qui sont pourtant les transactions les plus spéculatives.

Les promesses de campagne sont bien loin et aujourd’hui la seule préoccupation du gouvernement français semble se limiter à brosser dans le sens du poil le secteur bancaire français.

Un collectif d’associations a d’ailleurs répondu dans une lettre ouverte à la tribune du ministre des Finances, Michel Sapin, publiée dans Les Echos du lundi, sur le projet de taxe européenne sur les transactions financières.


Bas les masques. Enfin. Dans une tribune publiée lundi après-midi dans les Echos, vous avez reconnu que la France soutiendrait une TTF européenne au rabais, sans toucher aux transactions portant sur les produits dérivés, reconnus comme les transactions les plus spéculatives.

Pour nous, associations actives sur le dossier de la TTF depuis de nombreuses années, vous êtes officiellement devenu l’avocat personnel des banques françaises et européennes qui n’ont cessé de mener une campagne agressive contre ce dispositif depuis 2013. Ce n’est pas une surprise, mais la preuve de ce que nous avancions depuis des mois : le renoncement de la France à une TTF véritablement ambitieuse, capable à la fois de réguler la finance et de générer des recettes fiscales massives.

Monsieur Sapin, vous faites mine d’être dans une posture constructive en proposant un « compromis » qualifié d’« ambitieux et pragmatique » qui permettrait de parvenir enfin à un accord sur les aspects techniques de la taxe.

En réalité, isolé dans les négociations à un mois et demi de la date butoir de décembre 2014, vous jouez votre « va tout » pour tenter d’imposer une assiette minimale que vous défendez depuis des mois auprès de vos homologues.

La France fait en effet face à la pression des autres ministres des Finances de la coopération renforcée. L’Allemand Wolfgang Schäuble, qui veut mettre un terme à la sous-imposition du secteur financier par rapport aux autres secteurs de l’économie, souhaite ainsi taxer l’ensemble des transactions financières, même les plus spéculatives.

Quant aux petits Etats de la coopération renforcée, ils ne sont pas intéressés par une mini-taxe fondée sur le principe d’émission, qui ne leur ferait lever aucune recette. C’est d’ailleurs pour acheter leur soutien que vous avez mis sur la table votre seule proposition nouvelle : celle de leur reverser artificiellement une partie des recettes levées en France [1].

Paradoxalement, c‘est donc un gouvernement socialiste qui se bat contre une TTF régulatrice et génératrice de revenus, et s’oppose ainsi aux gouvernements conservateurs comme l’Allemagne.

Car en qualifiant de « fantasme dangereux » et de « rêve futile » le projet d’une TTF ambitieuse, vous traitez de doux rêveurs non seulement les ONG et les associations, mais aussi les gouvernements favorables à une TTF à l’assiette large, les nombreux experts financiers qui ont démontré la faisabilité technique d’une TTF sur les produits les plus spéculatifs, et même votre propre famille politique, le Parti socialiste européen.
Cette annonce, qui met en péril la perspective de lever les sommes indispensables à la lutte contre les grandes urgences mondiales comme le changement climatique, le sida ou Ebola, intervient au même moment qu’une proposition du président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, de supprimer la taxe sur les billets d’avion [2].

Hier, entre le gouvernement et l’Assemblée Nationale, les leaders socialistes ont tout simplement proposé la fin des financements innovants pour le développement, qui était pourtant la marque de fabrique de la France au plan international depuis plusieurs années.

Monsieur le Ministre des Finances, vos arguments techniques ne tiennent pas, et relèvent d’une certaine ignorance voire d’un mépris à l’égard des récents rapports d’experts financiers indépendants.

  • En proposant de taxer uniquement les actions, comme en France, vous ne toucherez pas la « mauvaise finance » mais bien celle, en premier lieu, utile à l’économie réelle.
  • Vous ne souhaitez pas taxer les produits dérivés, non pas pour des raisons techniques, mais bien politiques afin de protéger les banques françaises, notamment BNP Paribas et Société Générale, très exposées sur ces transactions spéculatives.
  • L’étude d’Avinash Persaud, spécialiste de la finance à la City, a indiqué qu’une taxe sur les produits dérivés, sans risque d’évasion, fondé sur le principe des bénéficiaire effectif (ou le client final) des transactions financières, était tout à fait réalisable ;
  • Vous feignez de vouloir taxer les produits dérivés en proposant d’appliquer cette taxe aux fameux Credit Default Swaps : dommage, depuis novembre 2012, il est déjà interdit à la plupart des acteurs financiers de spéculer sur les CDS à nus. Par ailleurs, les CDS ne représentent que 3% des dérivés au niveau mondial, une goutte d’eau dans l’océan.
  • Vous proposez d’appliquer le « principe d’émission » pour déterminer l’assiette de la taxe (…) et le principe de résidence pour déterminer l’Etat bénéficiaire de l’impôt levé ». Résultat : la TTF française rapportera encore moins que 800 millions d’euros par an, car une partie de ses revenus sera versée aux autres Etats membres de la coopération renforcée. Une telle position peut surprendre lorsque, à l’heure des coupes budgétaires en matière d’aide publique au développement et des difficultés budgétaires françaises, le cabinet Sia Partners estime que la TTF pourrait rapporter entre 9 et 24,4 milliards d’euros selon le scénario choisi.

Enfin, nous demandons à l’ensemble des parties prenantes au débat de la TTF de ne pas se laisser prendre à la stratégie de tout pour le tout de Bercy. Nous appelons les membres du parti socialiste européen, les ministres des Finances des autres Etats de la coopération renforcée, notamment l’Allemagne, et le président François Hollande à tenir leur engagement en faveur d’une TTF large, dont les recettes pourront faire la différence dans l’adaptation au changement climatique et la fin des nouvelles transmissions du sida.

Signataires :

  • Stéphane Calmon, vice-président de AIDES
  • Vincent Pelletier, directeur de Coalition PLUS
  • Nicolas Vercken, directeur des études et du plaidoyer à Oxfam France
  • Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France
  • Jean-Louis Viélajus, président de Coordination Sud
  • Florent Compain, Président Amis de la Terre

Notes

[2La taxe sur les billets d’avion mise en place en 2006 permet au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, à Unitaid et à Gavi de lutter contre les pandémies

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